top of page

Bespoke Tailoring - 

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS

 

QUATRIÈME SECTION
 
 
AFFAIRE FREITAS LOPES c. PORTUGAL
 
(Requête n° 36325/97)
 
ARRÊT
 
STRASBOURG
 
21 décembre 1999

 

 

En l'affaire Freitas Lopes c. Portugal,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (quatrième section),siégeant en une chambre composée de :

MM. M. PELLONPÃÃ, président,

G. RESS,

A. PASTOR RIDRUEJO,

L. CAFLISCH,

J. MAKARCZYK,

I. CABRAL BARRETO,

Mme N. VAJIC, juges,

et de M. V. BERGER, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 décembre 1999,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

 

 

PROCEDURE

 

 

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête dirigée contre la République du Portugal et dont un ressortissant portugais, M. Camilo Freitas Lopes (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 18 avril 1997, en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). La requête a été enregistrée le 4 juin 1997 sous le numéro de dossier 36325/97. Le requérant est représenté par Me D. Ferreira, avocat au barreau de Vila Nova de Famalicão. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. A. Henriques Gaspar, procureur général adjoint.

 

2. Le 3 décembre 1997, la Commission (deuxième chambre) a décidé de porter la requête à la connaissance du Gouvernement, en l'invitant à présenter par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé. Le Gouvernement a présenté ses observations le 5 février 1998 et le requérant y a répondu le 3 mars 1998.

 

3. Le 10 mars 1998, la Commission a décidé de ne pas accorder au requérant le bénéfice de l'assistance judiciaire.

 

4. A la suite de l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 le 1ernovembre 1998, l'affaire est examinée par la Cour en application de l'article 5 § 2 dudit Protocole.

 

5. Conformément à l'article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »), le président de la Cour, M. L. Wildhaber, a attribué l'affaire à la quatrième section. La chambre constituée au sem n de ladite section comprenait de plein droit M. I. Cabral Barreto, juge élu au titre du Portugal (articles 27 § 2 de la Convention et 26 § 1 a) du règlement), et M. M. Pellonpãã, président de la section (article 26 § 1 a) du règlement). Les autres membres désignés par ce dernier pour compléter la chambre étaient M. G. Ress, M. A. Pastor Ridruejo, M. L. Caflisch, M. J. Makarczyk et Mn' N. Vajié (article 26 § 1 b) du règlement).

 

6. Le 26 janvier 1999, la chambre a déclaré recevable la requête, estimant que les griefs tirés par le requérant de la durée de deux procédures civiles (article 6 § 1 de la Convention) devaient faire l'objet d'un examen au fond.Par une lettre du 11 mars 1999, le requérant a présenté ses demandes au titre de l'article 41 de la Convention. Par deux lettres des 20 avril et 15 octobre 1999, le Gouvernement a présenté ses commentaires à cet égard.

 

 

EN FAIT

 

 

8. Le requérant est un ressortissant portugais né en 1926 et résidant à Trofa (Portugal).

 

9. Le 7 mai 1987, le requérant acheta un immeuble comprenant vingt­quatre appartements ainsi que plusieurs terrains constructibles lors d'une vente judiciaire effectuée dans le cadre d'une procédure d'exécution engagée contre A.O.L. et l'épouse de ce dernier. Ceux-ci avaient toutefois vendu ces mêmes immeubles et terrains à J.G. et son épouse, le 19 février 1987, alors qu'ils faisaient l'objet d'une saisie (penhora) ordonnée dans le cadre de la procédure d'exécution mentionnée. Cette situation est à l'origine des deux procédures litigieuses.

 

 

A. La procédure n° 98/87

 

 

10. Le 1er juin 1987, J.G. et son épouse introduisirent devant le tribunal de Fafe à l'encontre du requérant, d'A.O.L. et de son épouse, ainsi que d'une société commerciale, une action en revendication de l'immeuble et des terrains en cause.

 

11. Cité à comparaitre le 15 juillet 1987, le requérant déposa ses conclusions en réponse le 20 octobre 1987. Il présenta également une demande reconventionnelle.

 

12. Le 18 février 1988, le ministère public fut cité à comparaitre en qualité de représentant d'A.O.L. et de son épouse, lesquels n'avaient pas pu être trouvés.

 

13. Le 5 avril 1988, les demandeurs déposèrent leur réplique.

 

14. Le 21 janvier 1994, le requérant produisit certains documents.

 

15. Par une ordonnance du 26 mai 1994, le juge invita les demandeurs à inscrire l'introduction de l'action au cadastre foncier, conformément à la loi.Le 15 septembre 1994, les demandeurs produisirent l'attestation du cadastre foncier relative à l'inscription en question.

 

16. Par une ordonnance du 15 juillet 1997, le juge fixa au 14 novembre 1997 une tentative de conciliation. Le jour dit, la tentative de conciliation eut lieu, sans succès.

 

17. Le 12 mai 1998, le juge rendit une décision préparatoire (despacho saneador) spécifiant les faits déjà établis et ceux restant à établir.

 

18. Par une ordonnance du 8 février 1999, le juge fixa l'audience au 29 avril 1999. Le jour dit, l'audience n'eut pas lieu et fut reportée au 28 octobre 1999. Toutefois, par une ordonnance du 20 octobre 1999, le juge déclara cette dernière date sans effet, et fixa la tenue de l'audience au 24 mai 2000.

 

 

B. La procédure n° 22/92

 

 

19. Le 23 janvier 1992, te requérant introduisit devant le tribunal de Fafe une demande en reconnaissance du droit de propriété sur l'immeuble et les terrains en question. Il demanda également des dommages et intérêts pour les préjudices subis en raison de la revente desdits immeuble et terrains par les défendeurs.

 

20. Le 6 février 1992, le juge ordonna la citation à comparaitre des défendeurs. Plusieurs des défendeurs n'ayant pas été trouvés aux adresses indiquées, le requérant fournit des renseignements complémentaires à cet égard au tribunal, en date du 22 avril 1992. Tous les défendeurs furent par la suite cités, et déposèrent leurs conclusions en réponse les 22 octobre et 2 novembre 1992.

 

21. Le 6 janvier 1993, le requérant déposa sa réplique. Les défendeurs déposèrent des dupliques les 15 et 20 janvier 1993.

 

22. La procédure demeure pendante devant le tribunal de Fafe.

 

 

EN DROIT

 

 

I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION.

 

 

23. Le requérant dénonce la durée des procédures en cause. Il allègue la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

 

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisormable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

 

24. La période à considérer a débuté, s'agissant de la procédure n° 98/87, avec l'introduction de la demande, le ler juin 1987. Elle n'a pas encore pris fim, la procédure demeurant pendante devant le tribunal de Fafe.

S'agissant de la procédure n° 22/92, la période en cause a commencé le 23 janvier 1992, avec le dépôt de la requête introductive d'instance devant le tribunal de Fafe. Elle n'a pas encore pris fim, la procédure demeurant pendante devant cette même juridiction.

 

25. Partant, la durée de la procédure à apprécier sous l'angle de l'article 6 § 1 de la Convention, s'étend à ce jour sur douze ans et six mois environ pour la procédure n° 98/87, et sur sept ans et dix mois environ pour la procédure n° 22/92.

 

26. Pour rechercher s'il y a eu dépassement du délai raisonnable, il y a lieu d'avoir égard aux circonstances de la cause et aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier, la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Silva Pontes c. Portugal du 23 mars 1994, série A n° 286-A, p. 15, § 39).

 

27. Le Gouvernement admet des retards dans le déroulement des deux procédures, qu'il impute, pour l'essentiel, à la surcharge du rôle du tribunal de Fafe. Il souligne cependant que des mesures adéquates ont été prises pour parer à cette situation. Ainsi deux chambres supplémentaires ont été créées dans ce tribunal, en 1993 et 1997, et des magistrats auxiliaires ont été nommés.

 

28. La Cour prend note de la position du Gouvernement ainsi que de ses explications. Elle ne saurait toutefois accepter les retards vérifiés dans le déroulement des deux procédures.

La Cour relève à cet égard, s'agissant de la procédure n° 98/87, um délai d'inactivité particulièrement frappant de plus de six ans, du 5 avril 1988 au 26 mai 1994.

Quant à la procédure n° 22/92, elle est dans l'attente de la décision préparatoire depuis le 20 janvier 1993.

 

29. La Cour réaffirme qu'il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable.

 

30. Au vu des circonstances de la cause, la Cour conclut ainsi qu'il y a eu dépassement du «délai raisonnable» pour ce qui est des deux procédures et, partant, violation de l'article 6 § 1.

 

 

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

 

 

Aux termes de l'article 41 de la Convention, 

 

«Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de ceife violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable.»

 

A. Dommage

 

32. M. Freitas Lopes affirme que le préjudice matériel résultant de la violation alléguée de l'article 6 § 1 de la Convention s'élève à 35 000 000 escudos portugais (PTE). Il se réfère aux revenus qu'il aurait déjà pu avoir obtenus avec la vente ou le bail des appartements et des terrains en cause. Le requérant demande en outre 5 000 000 PTE au titre du dommage moral.

 

33. Selon le Gouvernement, le préjudice matériel invoqué par le requérant ne présente aucun lien de causalité avec la durée de la procédure. Quant au préjudice moral, il estime la somme demandée manifestement excessive.

 

34. La Cour ne voit aucun lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel invoqué, d'autant plus que les procédures litigieuses sont toujours pendantes. Il s'avère donc impossible de dire d'ores et déjà que le requérant a subi une perte de chances imputable à leur durée. Partant, la Cour rejette les prétentions du requérant à ce titre. En revanche, elle juge que le requérant a subi un tort moral certain en vertu de la durée déraisonnable des deux procédures. Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour décide de lui octroyer à ce titre la somme de 3 000 000 PTE.B.

 

B. Frais et dépens

 

35. Le requérant demande 1 000 000 PTE pour frais et dépens. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Cour.

 

36. La Cour décide en équité d'allouer au requérant 250 000 PTE de ce chef.

 

C. Intérêts moratoires

 

37. Selon les informations dont dispose la Cour, le taux d'intérêt légal applicable au Portugal à la date d'adoption du présent arrêt était de 7 % l'an..Au vu des circonstances de la cause, la Cour conclut ainsi qu'il y a eu dépassement du « délai raisonnable » pour ce qui est des deux procédures et, partant, violation de l'article 6 § 1.

 

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTIONAux termes de l'article 41 de la Convention,

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,

 

1. Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

2. Dit

a) que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour oü l'arrêt est devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention,

i. 3 000 000 (trois millions) escudos portugais pour dommage moral ;

ii. 250 000 (deux cents cinquante mille) escudos portugais pour frais et dépens ;

b) que ces montants seront à majorer d'un intérêt simple de 7 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

 

Fait en français, puis communiqué par écrit le 21 décembre 1999, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

 

 

 

                            Vincent BERGER                                      Matti PELLONPÃÃ

                                   Greffier                                                    Président

 

 

 

 

 

 

 

bottom of page